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Une histoire de confinement...Christophe Desplanque

Une histoire de confinement…

Nous lisons un épisode de la vie du prophète Elisée en 2 Rois 6,24-31.

24   À une autre époque, le roi de Syrie, Ben-Hadad, rassembla toute son armée et il alla assiéger Samarie. 

25 Il y eut une grande famine dans la ville : les assiégeants bloquaient si bien la ville qu'une simple tête d'âne coûtait quatre-vingts pièces d'argent et un bol de crottes de pigeon cinq pièces d'argent.

26 Un jour, le roi d'Israël passait sur la muraille ; une femme lui cria : « Au secours, mon roi ! » 

27 Le roi lui répondit : « Si le Seigneur ne te secourt pas, moi non plus je ne peux pas te secourir ! Il n'y a plus de réserve, ni de blé, ni de vin ! » 

28 Pourtant il ajouta : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Tu vois cette femme ! L'autre jour, elle m'a dit : “Donne ton fils, nous le mangerons aujourd'hui et demain nous mangerons le mien.” 

29 Nous avons donc cuit et mangé mon fils ; mais le lendemain, quand je lui ai dit d'amener son fils pour que nous le mangions, elle l'a caché. »

30 Quand le roi entendit la femme lui raconter cela, il déchira ses vêtements ; il était alors sur la muraille, de sorte que tous les gens de la ville virent que, par-dessous, il portait une étoffe grossière directement sur la peau. 

31 Le roi s'écria : « Que Dieu m'inflige le plus terrible des malheurs si ce soir Élisée, fils de Chafath, a encore la tête sur les épaules ! »  (traduction Nouvelle Français Courant)

Connaissiez-vous cette histoire? Le siège d’une ville, avec toutes les horreurs que la famine qu’il engendrée peut entraîner. Tout d’abord, même ce qui ne vaut rien en tant normal s’échange désormais à prix d’or. Même de la fiente de pigeon et une tête d’âne!

Cette crise alimentaire, économique, entraine une crise de confiance : Voilà une femme qui s’adresse au roi censé protéger et guider son peuple, mais a-t-elle encore espoir en lui? Le «au secours» de la mère, dans le récit, est un cri certainement teinté d’ironie devant un roi complètement désemparé et désabusé, qui plus est vêtu comme un sac…

La crise est morale aussi : cette mère en est arrivée non seulement à sacrifier son enfant pour le manger, cuisiner sa propre progéniture, mais n’est scandalisée que du fait que l’autre femme n’en ait pas fait autant. Manger son propre enfant, c’est l’acte le plus désespéré qui soit. Au-delà de l’horreur et de l’inhumanité du geste, c’est sacrifier tout avenir, ne se préoccuper que de l’immédiat, ne vivre que dans le court terme.

La Crise est politique. Le roi est désemparé. Il n’a aucun plan, aucune perspective, il ne peut que se lamenter, et s’en prendre au prophète Elisée, qui recommandait de se confier au Seigneur.

La crise, enfin, est spirituelle.Dieu est désigné comme le grand coupable de ce qui arrive à Samarie, car un Dieu digne de ce nom doit défendre le peuple qui l’adore. Et faute de pouvoir s’en prendre à lui, on va s’en prendre à son représentant. C’est le phénomène du bouc émissaire. La violence qui menace toute une société concentrée sur un innocent désigné comme le responsable.

Cette histoire évoque un peu , toutes proportions gardées, notre actualité. Notre monde est également assiégé, et ce siège entraîne de multiples crises.

L’armée syrienne qui nous enferme et menace de nous reconfiner s’appelle covid-19. Un méchant virus qui nous prend en otage, qui complique nos contacts et nos relations au quotidien, qui menace l’économie, la cohésion sociale, qui complique et appauvrit notre vie communautaire, qui fabrique du chômage et de la précarité, qui renforce les solitudes et attise les divisions et les égoïsmes, le chacun pour soi, qui remet en cause la confiance dans la classe dirigeante.Et qui révèle même parfois la bêtise. Va-t-on voir à nouveau les gens se ruer dans les magasins et constituer des stocks de nouilles et de papier hygiénique?

Quant au cannibalisme de ces mères, il fait un peu penser au sacrifice que la crise sanitaire impose aux jeunes. Elle ampute la jeune génération d’une part de son avenir, un peu comme cet enfant mangé par les mères affamées. Déjà les étudiants ont les plus grandes peines du monde à trouver un petit job pour payer leurs études. Et demain? Quel emploi pour eux?

2 Rois 6,32-7,2

32 Cependant Élisée tenait une réunion chez lui, avec les anciens de la ville. Le roi lui envoya quelqu'un. Mais avant même que cet envoyé arrive, Élisée dit aux anciens : « Voyez-vous cela ! Ce fils d'assassin envoie quelqu'un pour me couper la tête. Faites attention : quand le messager arrivera, fermez la porte et empêchez-le d'entrer ! D'ailleurs, on entend déjà son maître qui arrive derrière lui. » 

33 Élisée parlait encore, lorsque le messager arriva et déclara : « Ce malheur vient du Seigneur ! Que puis-je encore espérer de lui ? »

Chapitre 7

1 Élisée répondit : « Écoutez tous ce que déclare le Seigneur : “Demain à la même heure, on ne payera qu'une pièce d'argent pour douze kilos de farine ou vingt-quatre kilos d'orge, à la porte de Samarie.” »

2 Le porteur d'armes du roi, celui qui l'accompagnait toujours, répliqua au prophète : « Même si le Seigneur ouvrait des fenêtres dans les cieux, ce que tu viens de dire se réaliserait-il ? » – « Eh bien, répondit Élisée, tu le verras de tes yeux, mais tu n'en profiteras pas. »

Deuxième tableau. Il commence en évoquant cette discussion entre Elisée et les anciens de la ville. On pourrait se dire,voilà un beau discoureur qui parle, qui discute alors que dehors la mort rode, et que la famine est omni-présente.Et voilà qu’Elisée annonce l’abondance. En pleine crise, en pleine détresse! Il ouvre un avenir quand plus personne n’en voit. Le roi se lamente sur l’absence de Dieu, qui a laissé tomber son peuple, pire, qui lui a envoyé ce malheur. Son aide de camp du roi renchérit sur cette opinion unanime:il n’y a plus d’espoir, et même si du grain tombait du ciel, cette abondance que tu annonces serait impossible.

A vues humaines, ce qu’annonce Elisée relève du «grand soir», des «lendemains qui chantent», une promesse incantatoire complètement décalée par rapport à la réalité. Mais la Parole de Dieu vient faire éclater la vérité contre toutes les évidences, toutes les réalités qui finissent par nous faire perdre confiance. Dieu conserve les rênes de l’histoire. Mais la vérité prophétique va éclater d’une manière assez bizarre, pour ne pas dire cocasse.

2 Rois 7,3-11

3 Il y avait quatre lépreux, installés hors de la ville, près de la grande porte. Ils se dirent l'un à l'autre : « Pourquoi restons-nous ici en attendant la mort ? 

4 Si nous décidons d'entrer dans la ville, nous y mourrons, parce que la famine est dans la ville ; si nous restons ici, nous mourrons également ! Descendons vers le camp des Syriens et rendons-nous à eux ; s'ils nous épargnent, tant mieux, nous vivrons ; et s'ils nous font mourir, nous mourrons ! » 

5 Au crépuscule, ils se levèrent pour aller au camp des Syriens. Ils arrivèrent à la limite du camp, mais ils ne trouvèrent personne.

6 En effet, dans le camp des Syriens, le Seigneur avait fait entendre le bruit d'une puissante armée, équipée de chevaux et de chars. Les Syriens s'étaient dit les uns aux autres : « Le roi d'Israël a payé les rois des Hittites et les rois des Égyptiens pour qu'ils envoient leurs armées contre nous ! » 

7 À la nuit tombée, ils s'étaient donc enfuis pour sauver leur vie ; ils avaient abandonné leur camp tel qu'il était, laissant sur place leurs tentes, leurs chevaux et leurs ânes.

8 Les quatre lépreux arrivèrent à la limite du camp. Ils entrèrent dans une tente, où ils mangèrent et burent ce qu'ils y trouvèrent ; puis ils emportèrent de l'argent, de l'or et des vêtements qu'ils allèrent cacher ; ensuite ils revinrent et entrèrent dans une autre tente et ils emportèrent divers objets qu'ils allèrent aussi cacher.

9 Mais ils se dirent alors l'un à l'autre : « Ce que nous faisons là n'est pas bien : ce jour est un jour de bonne nouvelle et nous la gardons pour nous. Si nous attendons qu'il fasse jour pour la publier, nous serons certainement punis. Allons ! Nous devons porter cette nouvelle au palais royal. » 

10 Ils retournèrent à la ville, appelèrent les sentinelles de la grande porte et les informèrent : « Nous sommes allés vers le camp des Syriens, et il n'y a plus personne ! Nous n'avons entendu aucune voix humaine. Il ne reste que les chevaux et les ânes attachés, et les tentes sont abandonnées. » 

11 Les sentinelles appelèrent aussitôt quelqu'un pour transmettre ce message à l'intérieur du palais royal.

L’impensable arrive. Le fléau a disparu aussi vite qu’il était arrivé. Une panique a vidé le camp des assiégeants, mais personne ne le sait.

Quatre lépreux vont être les premiers à le savoir. Quatre démunis parmi les démunis. Ils n’ont de place nulle part. Ils sont à la porte de la ville car atteints d’une maladie qui les classe comme impurs, intouchables. Qui les isole et les confine encore plus!

Et ils vont tout gagner parce qu’ils n’ont plus rien à perdre.

S’ils restent dehors et seuls, c’est la mort.

S’ils rentrent dans Samarie et bravent l’interdit, ils n’y trouveront de toutes façons rien à manger, c’est la mort.

Mourir pour mourir, autant jouer la dernière carte, aller chez l’ennemi assyrien qui peut-être aura pitié d’eux. Ils vont affronter le danger directement. Comme on dit, ça passe ou ça casse!

Et là c’est comme on dit le «jackpot». Ils trouvent le camp des syriens complètement vide, et se mettent allègrement à le piller et à dévorer toute la nourriture qu’ils y trouvent.

Le danger qui enfermait tout le monde n’existait plus. Mais chacun en avait toujours peur.

Et les voilà, eux les parias, eux les premières victimes du chacun pour soi, eux les exclus, qui se mettent à penser aux autres. «Ce que nous faisons n’est pas bien. Nous n’avons pas le droit de laisser toute la capitale, Samarie, dans l’ignorance. Si on attend le matin, et que les autorités de Samarie s’aperçoivent de notre manège, ça va aller mal pour nous». Il y a peut-être plus de peur que de générosité dans cet élan subitement altruiste.

Il n’empêche, ce jour est un jour de bonne nouvelle! Il faut la colporter.

Ces 4 lépreux me font penser à l’Église dispersée aux quatre coins de la terre. Aux chrétiens qui se trouvent à la porte de la cité, parce qu’ils sont comme étrangers et voyageurs en ce monde. Ce sont les témoins que le Seigneur s’est choisis pour porter une bonne nouvelle. L’ennemi est vaincu, il a fui, tout comme l’armée syrienne dans ce récit du 2nd livre des Rois. Parce que le Royaume de Dieu s’est approché en Jésus-Christ. Nous n’avons plus à avoir peur ni à nous enfermer dans le désespoir. Plus rien ne peut nous séparer de cet amour que Dieu nous a manifesté en Jésus-Christ.Nous n’avons plus rien à gagner ni à prouver. Nous voilà libres! Nous pouvons sortir des murailles d’égoïsme, de méfiance, d’indifférence où les êtres humains se terrent pour se protéger de tout ce qui les menace.

En Christ, chaque jour devient un jour de bonne nouvelle.

Et cette bonne nouvelle, nous la dévorons, nous nous en délectons comme ces lépreux qui se ruent sur les victuailles et autres trésors de l’armée syrienne.

La bonne nouvelle, c’est l’Evangile, étymologiquement. Une bonne nouvelle qui nous rend, comme ces 4 lépreux, redevables, et responsables de la transmettre. Et malheur à nous, comme dit l’apôtre Paul, si nous n’évangélisons pas….

Si nous ne disons rien, et attendons la lumière du matin, nous n’échapperons pas au châtiment, se disent entre les lépreux. C’est la nuit sur Samarie et les alentours. Aucune sentinelle sur sa muraille, affamée et tenaillée par la faim, n’a pu s’apercevoir que l’ennemi avait battu en retraite. Il faut attendre l’aube pour cela. C’est la nuit dans ce monde sans Dieu. Qui leur dira que Jésus est la lumière, sinon ceux qu’elle éclaire déjà ?

Ch Desplanque