Notices historiques
Le protestantisme à Alès avant avant 1802
La Réforme atteint Alès dès 1535. A partir de cette époque et jusqu'à la Révocation de l'Edit de Nantes, elle n'a aucune peine à progresser parmi la population. Surtout parmi celle dont la vie religieuse est profonde. Les quelques quarante religieux qui vivent en ville ne jouissent que d'un prestige assez restreint. Comment pourraient ils faire barrage aux idées nouvelles ? Aussi le frère Valnasius et le Cordelier Claude Rozier, au cours du Carême 1545, peuvent-ils officiellement développer les thèses luthériennes. Le Conseil de la ville est déjà à moitié conquis. En particulier les nobles des environs et surtout le baron Louis de Cambis se rangent du côté réformé. "Ceux des montagnes des Cévennes , écrit Théodore de Bèze, reçurent avec une merveilleuse ardeur la vérité de l'Evangile, auquel s'adjoignirent quasi tout le commun, mais aussi les gentilshommes et les plus grands seigneurs tellement que quasi en un instant furent dressées plusieurs églises ". Successivement les églises des Cordeliers, des Dominicains et puis l'église St Jean sont consacrées au nouveau culte.
D'ailleurs, aux termes de l'Edit d'Amboise de 1563 les Réformés alésiens cessent d'occuper ces sanctuaires et obtiennent l'autorisation de se réunir à la Maison consulaire, rue Soubeyranne . C'est faute d'une place suffisante qu'ils sont contraints de quitter ce lieu et qu'ils portent leur choix sur l'hôpital Saint Antoine. Malgré les réparations effectuées à cet hôpital qui tombait en ruines, Il faut croire qu'ils ne sont guère satisfaits de cette décision puisque deux ans plus tard ils entreprennent, en 1577, la construction de leur premier temple . Placé à l'endroit même où quelques temps avant se dressaient deux maisons appartenant aux Dominicains, entre la rue de la Gougé et la rue Peyrolerie, il était fait pour servir à l'usage de cinq à six mille réformés ; ses dimensions étaient imposantes : trois portes d'entrée, quinze fenêtres. Il était surmonté d'une tour assez haute contenant des cloches. Au-dessus de l'entrée principale était scellée une pierre portant cette inscription "Mes brebis oyent ma voix, je les connais, elles me suivent et je leur donne la vie éternelle ".
DANS LA TOURMENTE
Alès restera une des dernières paroisses à posséder son sanctuaire. Si de 1665 à 1685 il ne paraît pas moins de 20 Déclarations et de 28 Arrêtés pour réduire le protestantisme, et si dès 1663 les temples de Cendras, de Saint-Jean-du-Pin, de Méjannes, de St Martin de Valgalgues sont démolis ce n'est que le 23 mars 1685, que l'Eglise d'Alès se voit vraiment inquiétée. Voici ce que rapporte le manuscrit (déposé à la bibliothèque du Protestantisme français à Paris) de l"Histoire de l'Eglise Réformée d'Alès "
Le délégué du gouvernement fit signifier à Coulan et à Fontenay, secrétaire du Consistoire, d'avoir à nommer sous huit jours un syndic pour les défendre en justice. Le Consistoire, dans une séance à laquelle assistait un commissaire du Roi, sans la présence duquel ils n'avaient plus la liberté de se réunir, fit choix de Guiraudet, notaire. Le 30 un jeûne solennel fut célébré dans le temple à l'occasion de cette épreuve. Inculpés d'avoir laissé pénétrer dans leur Temple quelques réformés récemment convertis au Catholicisme, les pasteurs Coulan et Bouton fils furent décrétés de prise de corps. Bouton père eut permission de continuer ses prédications ; mais on comptait bien que son extrême vieillesse l'empêcherait d'en user. Il resta pourtant sur la brèche et lutta jusqu'au dernier jour avec une rare énergie. Coulan et Bouton ne furent cités à Nîmes qu'en août ; ils y furent rejoints par une vingtaine de leurs collègues. On les renvoya pour la plupart sans dépens : mais leurs églises durent payer de lourdes amendes. Le Temple d'Alès ne pouvait plus cette fois échapper à la démolition. S'il resta debout quelques semaines encore, c'est que les catholiques d'Alès ne pouvaient se mettre d'accord sur ce qu'il fallait en faire. Les uns voulaient l'abattre, d'autres qu'il fût converti en église catholique. Grâce à ces démêlés l'arrêt ne fut signifié que le 25 septembre .
Le dimanche précédent les protestants d'Alès s'étaient pour la dernière fois rassemblés dans leur temple. Aussi étaient-ils nombreux et fort émus. Bouton père avait pris pour texte : Hébreux 10/32-39. Son émotion fut grande aussi dès le début. Plusieurs fois interrompu par les sanglots de son auditoire, il continua longtemps à exhorter les fidèles à la patience, au courage, à l'espérance. Puis, levant les mains, il protesta solennellement que rien au monde ne pourrait le séparer de la vérité qu'il avait prêchée et qu'il y persévérerait jusqu'à la mort. Entraînés à l'aspect d'un si grand zèle, les fidèles se lèvent spontanément à leur tour, et confondant leurs serments et leurs larmes, répètent chacun les promesses de leur dernier pasteur. Cette scène déplut fort à l'intendant, qui crut à un dessein prémédité de faire prêter aux réformés un serment de fidélité à leur religion. Bouton père fut décrété de prise de corps. On envoya un détachement de dragons pour l'arrêter. Le commandant fit cerner la maison ou Bouton père habitait avec son fils et demanda simplement Bouton, sans désigner lequel. Bouton fils se présenta, fut arrêté et conduit dans la citadelle de Montpellier, tandis que son père put, à la faveur de cette méprise, gagner les Cévennes et de là passer en Suisse à travers l'Auvergne et le Lyonnais, après un voyage fort pénible pour un homme de son âge .
Bouton fils avait été relâché à condition que son père viendrait prendre sa place. Mais ayant appris que son père était parvenu à s'enfuir, il résolut d'en faire autant. Soigneusement caché pendant longtemps par des amis dont les soins finirent par le guérir d'une grave maladie, il fut assez heureux pour aller retrouver son père à Vevey, où l'avaient précédé Coulan, son collègue et les pasteurs des environs. Presque tous les ministres fugitifs des différentes églises de France se réfugièrent aussi à Vevey. On en vit plus de cent à la fois dans le pays de Vaud.
La démolition du temple d'Alès eut lieu dans les derniers jours d'octobre sous la surveillance d'un officier des dragons. Les matériaux, soigneusement inventoriés par les soins des consuls furent vendus pour la plupart à diverses personnes moyennant la somme totale de 700 livres, dont la moitié servit à payer les ouvriers et le reste fut versé à la caisse de l'hôpital. Deux ans plus tard on enleva ce qui restait de matériaux pour faire place nette et en bon "état" et l'on mit la location de la place aux enchères. La somme de 450 livres offerte par un teinturier fut repoussée comme insuffisante. Quelques jours après l'emplacement fut vendu par l'Intendant aux Dominicains et à la confrérie des Pénitents pour la somme de 39 livres.. Les Pénitents en restèrent maîtres moyennant une redevance de 5 livres 10 sols payée aux Dominicains."
La paroisse d'Alès comme celles du Languedoc et de la France entière, semble anéantie. Certains de ses membres partent précipitamment pour les pays étrangers. Un grand nombre d'autres abjurent, mais dans la plupart des cas cette abjuration n'est pas sincère. On le verra bien dans la suite au moment du calme rétabli. Même si le troupeau dispersé par la tempête s'est amenuisé, il n'a pas disparu.
L'AGE DE LA CLANDESTINITE
L'Edit de Nantes est révoqué officiellement le 16 Octobre 1685. Désormais, en Alès, il n'y aura officiellement que des anciens catholiques et des nouveaux catholiques, mais jamais la fusion entre les deux groupes ne se fera. Les relations officielles en font foi. Pour les postes à pourvoir, administratifs, consulaires ou judiciaires, le nom des citoyens choisis sera toujours accompagné de la mention ancien ou nouveau catholique. Les autorités de la province, comprenant que les nouveaux convertis ne s'étaient pas fondus dans la communauté catholique, les surveillaient étroitement (exclusion de la police, charges financières supplémentaires, etc…)
Mais, malgré la destruction du temple, les assemblées religieuses ne sont pas supprimées. Alès était un centre militaire. Plusieurs compagnies y tenaient garnison à demeure. Il était donc particulièrement difficile d'avoir des rencontres religieuses importantes, mais, dans les maisons, des groupes de quelques personnes se réunissaient pour lire la Bible et célébrer des cultes privés. Ces réunions à domicile avaient surtout la faveur des notables. Les gens du peuple, en général, préféraient se réunir dans la campagne et, chaque fois qu'ils pouvaient, se joindre aux assemblées champêtres des Basses Cévennes et de la Gardonnenque.
Chez qui avaient lieu ces réunions à domicile ? Les renseignements détaillés manquent. Voici le peu que nous savons : le jour de la Fête Dieu, le prédicant Pourtal, qui depuis quinze jours allait de maison en maison, est surpris chez la veuve Valmalette, où quarante personnes étaient réunies. Poursuivi par les soldats et après une course mouvementée, Pourtal se réfugie dans un puits et se blesse à une jambe. Il reste deux heures dans l'eau glacée qui lui arrive jusqu'au cou et, tiré de sa fâcheuse position avec une corde qu'on lui lance à la nuit, il se rend au sud de la ville chez un dénommé Deleuze dans l'enclos duquel il vivra pendant plusieurs jours.
Une dame Verdier, Rue des Fabreries, est envoyée en 1709 à la tour de Constance, parce qu'une assemblée avait été surprise dans sa demeure. L'année suivante un prédicant est arrêté chez la veuve Roquier près du Pont Vieux, au Faubourg du Soleil, à neuf heures du soir, alors que déjà quelques personnes étaient réunies. Pendant la fameuse peste de 1721, les rassemblements, grâce à Benjamin Duplan, augmentent beaucoup en nombre et en ferveur religieuse. Ils se tiennent de préférence le dimanche et le mercredi.. Antoine Court, le 18 Janvier 1725, manque d'être pris par les soldats lors d'un culte privé qu'il présidait chez la veuve Jalabert. S'échappant par des toits rendus glissants par la neige et la pluie, il n'a comme ressource que de rester caché une journée entière sous un tas de fumier.
Peu à peu, à mesure que la restauration de la discipline s'établit, les pasteurs exercent une activité courageuse et les Assemblées de plein air, en dépit des dragons, des espions et des édits se multiplient. Deux endroits sont habituellement choisis : la Batéjade, située à un kilomètres sur la route d'Uzès et la Prairie, qui était alors totalement inhabitée à cause des crues du Gardon. Au cours d'une de ces promenades champêtres, le terme est de l'époque, Jean Faucon, seigneur de Lavabre et Louis Deleuze de La Liquière, avocat, furent arrêtés et détenus quelques temps au fort Vauban.
En 1758 la fermeté et le zèle des protestants alésiens se manifestent ouvertement puisque un Synode, les 12 et 13 Juillet, se tient dans la ville et les risques courus n'étaient pas négligeables.
LA PORTE DE L'ESPERANCE S'OUVRE
Il faudra cependant arriver jusqu'au 22 Avril 1781 pour qu'un signe manifeste de la vie protestante sur Alès éclate : un registre officiel des délibérations du Consistoire est dressé et régulièrement tenu , et ceci bien avant la signature de l'Edit de Tolérance (1787) par Louis XVI, édit qui rendait aux protestants leur existence légale Finalement c'est Napoléon Bonaparte qui organisera définitivement avec les Lois organiques du 18 Germinal an X (8 Avril 1802 ) le fonctionnement du culte protestant et Alès deviendra le siège d'une Eglise consistoriale.
D'après R. Lhermet , pasteur à Alès de 1945 à 1954 (article paru dans "Le lien fraternel" de septembre 1953)